YI-KING



Le Yi king, ou Livre des transformations, est un concentré de notre univers. Qui se résume au jeu des deux principes complémentaires : le yin et le yang. Bref, le Yi king dit tout. Et il ne dit rien. Il offre des pistes, des chemins à interpréter. Posez-lui une question « X », et, au fil de ses soixante-quatre hexagrammes, il vous suggère une réponse. Tout dépend du jeu des baguettes ou des trois pièces, lancées à six reprises. Combien de fois Philip Kindred Dick les a-t-il jetées pour écrire le Maître du Haut Château ? Fait unique : ce roman, dont les personnages passent leur temps à se tirer le Yi king, a été intégralement rédigé via ses oracles. Comme l’écrit son biographe Emmanuel Carrère dans un chapitre dédié à cet épisode, « Il lui semblait que le livre existait déjà, quelque part, et que son travail consistait seulement à suivre les directives de l’oracle pour l’amener à la lumière. Quand un des personnages tirait un hexagramme suggérant un choix contraire aux vagues plans qu’il avait formés pour lui, il résistait à la tentation de recommencer jusqu’à ce que le verdict l’arrange mieux : il laissait faire, suivant le mouvement ; l’histoire se développait d’elle-même. »1 Dick trace la route de son roman. Il en crée les figures. Mais à chaque bifurcation de l’intrigue, il s’arrête et interroge le Yi king. Est-ce le hasard qui décide pour lui ? Ou quelque destin ? L’auteur, qui se met lui-même en scène dans le livre en train de se tirer un Yi king, vit son écriture comme une épreuve de vérité. Il ne croit pas au Yi king à la façon de ces bétas et bétasses qui prennent l’astrologie « à la lettre », comme s’il s’agissait d’une science exacte. Non, il en suit les augures, mais sans chercher à leur mettre un visage. L’Autre de l’oracle, l’absent qui décide des rebondissements du Maître du Haut Château, est son ombre de fiction. Son inconscient en acte. Tout sauf raisonnable. Et pourtant, comme « l’avait prédit l’oracle, Le Maître du Haut Château fut le premier succès de sa carrière ; il obtint le prix Hugo, la plus importante récompense que puisse espérer un auteur de science-fiction américain. »2 Allez-y comprendre quelque chose…


1 Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts, Seuil (1993), p.85-86 de l’édition de poche.
2 op. cité, p. 97.

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