PUBLICITÉ



La publicité gâche votre plaisir d’auditeur ou de spectateur.
Une petite génération avant que TF1 ne se mette à couper ses films du soir d’une belle saucissonnée de pustules publicitaires au son et aux images dopés, les réclames gâchent déjà la pause « sérénité musicale » de Willis, le robot empathique du Le Guérisseur de cathédrales : la neuvième de Beethoven est coupée d’une publicité pour une ceinture herniaire. « Puis commence l’air du Vendredi saint tiré de Parsifal de Wagner, suivie d’une réclame pour une pommade miracle contre le pied d’athlète. Puis le choral d’une cantate de Bach Jesu Du Meine Seele. Puis l’annonce d’un nouveau suppositoire à utiliser dans le traitement des hémorroïdes. Puis le Stabat Mater, de Pergolèse, entrecoupé d’une réclame de dentifrice pour dentier. Suivi du Sanctus tiré du Requiem de Verdi. Suivi lui-même de quelques minutes sur un laxatif miracle… »1

La publicité est un insecte nuisible.
Vous conduisez tranquillement votre voiture. Vous percevez un grésillement. C’est un « spot publicitaire » de l’agence Theodorus Nitz, de la taille d’une mouche ou d’un moustique. À la façon de la sangsue logicielle d’internet, « adware » ou« cookie » qui se collent à votre disque dur lors d’une visite sur quelque site web, la réclame bien réelle de Simulacres a réussi à se faufiler dans la mince ouverture de la fenêtre. Ce parasite à but mercantile est vivant ou pas loin. Les agences publicitaires en lâchent par hordes entières ! Ces bestioles vous haranguent de leurs propos orduriers : « Eh, vous ! Est-ce que vous ne vous êtes jamais dit : je parie que les autres gens du restaurant me regardent ! Et vous vous inquiétez : que faire pour ne plus avoir l’impression bizarre… ».2 Stop ! Une seule solution : arrêtez la voiture, écrasez la réclame sur la vitre ou avec votre pied, puis nettoyez. Si votre engin est un ordinateur, même topo : videz votre « mémoire cache », histoire d’exterminer au Karsher virtuel tous ces parasites numériques qui vous veulent du bien.

La publicité viole votre intimité.
Si la publicité pouvait être télépathe, elle le serait bien sûr. Elle en rêve déjà. Vous pensez : un contact direct avec l’esprit dudit consommateur ! Il y a la version « reconnaissance de la pupille de l’œil » du film Minority Report, aujourd’hui expérimentée dans les laboratoires sous l’étiquette scientifique « biométrie ». Et il y a son équivalent de la nouvelle Service avant achat : tandis que votre navette descend tranquillement l’autoroute intersidérale de la lune de Ganymède à la Terre, le message de bonheur impératif s’applique « directement aux aires auditives et visuelles »3 de votre cerveau. La pub apparaît ici dans son horreur la plus accomplie, sans le moindre égard pour le plus privé de tous vos espaces : votre esprit.

La publicité détruit votre paysage mental.
Richard Kongrosian en est persuadé : « Je sens mauvais. A cause de cette réclame, j’ai acquis une odeur corporelle phobique. Il avait été contaminé par l’intermédiaire de cette publicité et il n’y avait aucun moyen de se débarrasser de cette émanation : il y avait maintenant des semaines qu’il essayait en vain mille rituels de rinçage et de lavage. »4 Ce n’est qu’une illusion. Il le sait. Certes, en notre troisième millénaire, il existe des pubs odorantes. Mais pas à l’époque de Simulacres. Et puis l’ajout de l’odeur, du goût ou de ladite interactivité ne change rien à l’essence de la peste publicitaire. Si Kongrosian n’arrive plus à s’approcher du moindre être humain à moins de trois mètres, c’est qu’il a été irrémédiablement atteint par cette épidémie de l’esprit. Son imaginaire définitivement capturé par la lessive qui chante et le déodorant qui vous transforme en Superman, le pianiste psychotique est certain que sa puanteur passe par les fils du téléphone. Comme par miracle.

La publicité transcende l’objet d’une touche divine.
« Platon travaille dans la publicité », écrit avec humour l’ex-publicitaire et toujours philosophe Dominique Quessada5. Car la pub lave l’objet des souillures du corps. Elle le transforme en une pure idée. L’objet, dès lors, devient incorruptible. La publicité, sous ce regard, prend la figure de la lotion Ubik du roman éponyme. Soit un produit miracle, lui-même sujet d’une myriade de réclames, qui a cette étonnante propriété de stopper la régression matérielle des rasoirs, réfrigérateurs, couteaux suisses, sauces salades, thés et cafés voire reins fatigués et sexes flappis. Les pubs pour Ubik, cet idéal de la reine Pub, transmettent leur message rédempteur jusqu’aux tréfonds du monde en décrépitude de Joe Chip. Elles traversent l’écran d’une vieille télé, s’affichent au dos d’une boîte d’allumettes ou sur l’étiquette d’un bocal. Paradoxe : elles sont le remède capitaliste à ce capitalisme qui n’a de cesse de métamorphoser ses produits en rebuts pour mieux les remplacer. Les pubs Ubik disent tout d’un produit qui fait tout. Qui nettoie tout. Car la pub est affaire de mots, mais de mots dont le rêve est de réduire tout produit à une Idée. Les publicitaires ne sont-ils pas les derniers (et les premiers) à croire en la performance du langage, à l’efficacité du logos sur le gouvernement métaphysique de la Cité ? La pub, ce simulacre d’une société de simulacres, est haïssable. Mais son principe fascine et nous raconte une histoire trop belle pour être vraie : on aimerait tant qu’elle puisse vraiment nous offrir l’éternelle jeunesse.


1 Philip K. Dick, Le Guérisseur de cathédrales (1969), dans le recueil Aurore sur un jardin de palmes, Presses de la Cité/Omnibus (1994), p. 767.
2 Philip K. Dick, Simulacres, Calman-Lévy (1964, 1973), p. 61-62.
3 « Service avant achat », dans Philip K. Dick, Nouvelles, Tome 1 /1947-1953, Lunes d’encres/Denoël (1994, 1996), p. 1417.
4 Philip K. Dick, Simulacres, Calman-Lévy (1964, 1973), p. 87—88, 93-95.
5 Dominique Quessada, L’Esclavemaître, Verticales (2002).

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