ÉVOLTHÉRAPIE



En 1964, personne encore ne rêvait de « post humanité », du moins de façon claire. La secte des Extropiens et leurs nombreux épigones « états-uniens » d’aujourd’hui, ultra positivistes cultivant le credo de l’immortalité, du clonage et du développement scientifique de l’intellect, n’existaient pas. Et pourtant, dans Le Dieu venu du Centaure, Dick invente le parfait objet symbole du délire « post humain » de notre troisième millénaire : « l’évolthérapie ».

L’évolthérapie accélère le processus naturel de l’évolution. Elle n’opère pas sur la mémoire et ses chants de mots, telle la psychanalyse, mais sur le cerveau et le corps qui en est l’enveloppe au sens large. Elle a ses propres cabinets privés, ses cliniques et ses praticiens comme le docteur Denkmal. Elle coûte une petite fortune – ce qui en fait un facteur de différenciation sociale, telle cette fracture génétique qui risque de séparer demain les parents ayant le compte en banque leur permettant de choisir les gènes de leur fils ou fille, de ceux, ces damnés du futur proche, qui ne l’auront pas. L’évolthérapie, pour revenir à elle, flirte avec le développement personnel et la correction de nos défauts humains, trop humains, mais sa méthode semble plus brutale et plus classiquement scientifique que l’ostéopathie ou la kinésiologie. Si vous en avez donc les moyens financiers, sociaux et culturels, vous voilà tel le monstre de Frankenstein, satisfait mais fondu par de solides attaches à un fauteuil alimenté d’électricité. Chaque séance ressemble davantage à un électrochoc mental qu’à une conversation sur la gamme de votre corps. Sauf que votre esprit semble y gagner en profondeur, séance après séance, et s’ouvre à de nouveaux concepts tandis que votre tête se transforme elle-même selon la pente accélérée de l’évolution telle que décrite par les paléontologues : toujours plus mince en bas, au niveau du menton et de la mâchoire, toujours plus ronde en haut, sous la boîte crânienne. Vous ressemblez bientôt à une tête d’œuf, pas loin de l’hydrocéphale ou tout du moins du « bulbocrâne ». À moins que l’expérience ne soit un fiasco. Car parfois le cerveau régresse au lieu de croître. C’est ce qui arrive à la femme de Richard Hnatt, dont les poteries perdent leur sel créatif suite à une première (et dernière) séance. Comme si l’évolthérapie cultivait l’intelligence plutôt que l’intuition, les jardins de la science et de la raison raisonnante bien plus que les friches de l’art et des talents fous.

Car tel est le danger des rêves réalisés de post humanité lorsqu’ils oublient l’ultra vitalité de Nietzsche pour l’ultra rationalité des techno-prophètes amerloques : transformer le corps en caricature de cerveau, qu’ils ont il est vrai fort développé. Élargir le lobe frontal et sa compréhension rationnelle, certes, mais au risque d’un rétrécissement du corps et de l’âme1.

1 Philip K. Dick, Le Dieu venu du Centaure, Le Livre de Poche (1965).

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