ROBOT



Néologisme issu du tchèque « robota » signifiant « travail forcé », le terme « robot » a été inventé par la dramaturge Karel Capek en 1921, dans RUR (Rossum’s Universal Robot). Un siècle après le monstre du docteur Frankenstein, la pièce de Capek réinvente le scénario de l’homme qui, se prenant pour Dieu, crée une créature artificielle pour mieux être puni par le sort – ou par Dieu –, ces mêmes créatures se révoltant contre l’esclavage qu’elles subissent de la part de leurs créateurs humains, trop humains. Un peu plus tard, en 1942 dans son cycle des Robots, Isaac Asimov imagine trois lois qui fondent l’imaginaire de la robotique, aussi bien d’ailleurs dans la vraie science que dans la science-fiction. Première loi : « Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger ». Deuxième loi : « Un robot doit obéir aux ordres donnés par les être humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la première loi ». Et Troisième loi : « Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’est pas en contradiction avec la première et la deuxième loi ».

Dick soumet ces socles de la psyché robotique à une première distorsion : le robot obéit aux règles de la Vie artificielle plus qu’à celles de l’Intelligence artificielle. Autrement dit : le détournement des trois lois d’Isaac Asimov par l’ingénieur Mark Tilden, créateur de robots insectoïdes dans les années 1990, aurait pu être signé Philip K. Dick. En langage plus ou moins châtié selon les interlocuteurs de Tilden, leur pater canadien, la première loi devient en effet : « Un robot doit protéger son existence à tout prix » (« Protège ton cul »). Puis la deuxième loi : « Un robot doit obtenir et maintenir l’accès à une source d’énergie » (« Remplis ton estomac »). Et enfin la troisième loi : « Un robot doit continuellement chercher de meilleures sources d’énergie » (« Cherche le meilleur immobilier »). Bref, il s’agit de parier sur la vie la plus primaire avant l’intelligence. Et de privilégier la bouffe bien tangible sur les sucreries mathématiques…

Mais il y a une seconde distorsion, bien plus radicale encore : l’écrivain gomme toute hiérarchie dans l’échelle de l’évolution entre le robot et l’être humain censé l’avoir créé. L’un est « l’autre » de l’autre. Et réciproquement. Au point qu’un grand nombre de ses nouvelles, à l’instar de James P. Crow, inversent la polarité classique, la créature dominante du futur étant le robot, infiniment plus efficace en terme de raisonnement, de la même façon que le singe est l’être supérieur de La Planète des singes

Sauf que parfois, et c’est là où le jeu devient passionnant, l’un se confond avec l’autre. Et c’est un homme ayant pleinement réussi sa vie et sa carrière, on ne peut plus humaine, de patron et propriétaire de Tri-Plan Électronique, Garson Poole, qui découvre à l’hôpital qu’il n’est qu’une « fourmi électrique », traduisez : « un robot organique ». Sous son derme, dans ses veines et ses capillaires coulait du sang authentique, mais en dessous luisaient les fils électriques et les composants informatiques. Et le voilà qui se torture l’esprit, qu’il a donc machinique… Pendant toutes ces années, si dit-il, j’ai eu « l’illusion d’être humain et vivant », j’étais « un objet inanimé singeant un objet animé », visiblement programmé par le vrai propriétaire de son entreprise de « fléchettes identifiantes aléatoires capables de repérer leur proie dans un rayon de mille cinq cents kilomètres en se basant exclusivement sur le tracé encéphallique ». Comme un humain, il déprime. Même une fois sa vérité révélée, il se sent tel un être humain, qui voit, entend, réagit à son environnement et à sa réalité quotidienne. Mais il s’interroge sur son « dispositif d’apport de réalité », sur la façon dont il a pu percevoir le monde. Cherchant à comprendre ce qui fait de lui, qui se sent si humain, une pure mécanique, il devient son propre cobaye, intervenant sur ses circuits internes via un écran agrandisseur et quelques outils affutés. Il expérimente sur sa propre carcasse des « coupures » de réalité. Et finalement, suivant en cela la pente irrémédiable de son désespoir, il se suicide. Soit un acte terminal démontrant qu’il avait l’esprit tragiquement humain…

1 Philip K. Dick, « La fourmi électrique » (1966), dans Nouvelles, 1963-1981, Denoël/Présence (1998), p. 458-480.

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