GAIA



Rescapé de quelque souterrain protégé depuis des générations, l’anti-héros de la nouvelle « Planète pour hôtes de passage » (1953) marche à l’air libre dans une combinaison de cosmonaute, histoire de survivre à la surface d’une Terre à l’oxygène malade, qui s’est restructurée en une formule inouïe suite à quelques bombes (nucléaires) d’il y a trois siècles et demi. Il y découvre les descendants de ceux qui furent des hommes, vies hybrides ayant métabolisé les métaux radioactifs : « les rouleurs, les coureurs, les vers, les crapauds, les insectoïdes et ainsi de suite. Les innombrables variétés adaptées à cette Terre-ci – cette Terre irradiée. » L’un de ses frères du genre Homo sapiens, lui aussi encastré dans son armure de survie, lui dit : « C’est pourtant nous qui sommes les véritables humains. » Et le premier survivant de répondre, lucide : « Non, plus maintenant. La Terre est vivante, elle regorge d’espèces variées qui pullulent en se développant dans toutes les directions. Nous, nous ne sommes qu’une forme de vie parmi d’autres, mais archaïque. Pour rester ici, il nous faudrait rétablir les conditions, l’équilibre d’il y a trois cent cinquante ans. »1 Ce qui, bien sûr, est impossible. Car la fin du monde n’est la fin que de notre monde…
Comme le disait déjà à la fin du XXe siècle le scientifique hétérodoxe James Lovelock, notre orange bleue n’est pas fragile, au contraire des hommes. Elle est un être vivant, gigantesque déesse gazeuse, aqueuse, montagneuse et velue d’arbres et d’immeubles qui s’enrichit désormais d’une drôle d’enveloppe technologique, ondulatoire selon les songes de Teilhard de Chardin. Mais nous, humble homoncules humains, ne sommes que ses hôtes de passage, voués à disparaître, qui plus est très probablement par notre propre faute. Depuis le Big Bang, Gaia a connu bien des cataclysmes, notamment cosmiques, à côté desquels nos pires cauchemars nucléaires seraient des pets de volcans cacochymes. L’écologie, du moins dans sa version larmoyante et bien pensante, se trompe : notre planète n’est guère menacée par la radioactivité, l’effet de serre ou les pollutions chimiques. Au pire, elle risque une grosse grippe. À l’échelle de Gaia et de sa vie, qui devrait durer tant que brillera son soleil, nos catastrophes écologiques ne sont rien. Ou plutôt, elles ne sont rien pour elle. Pour nous autres, microbes humanoïdes qui nous agitons sur son corps, c’est une autre histoire. Veillons à ce que Gaia ne tousse pas trop, qu’elle n’ait pas la nécessité de se guérir d’une angine ou d’un mal de ventre. Car, sous notre incarnation actuelle, nous risquons fort de ne pas survivre à sa médecine par trop naturelle.

1 Philip K. Dick, « Planète pour hôtes de passage » (1953), dans Nouvelles, Tome 1 1947-1953, Denoël/Lunes d’encre (1987, 1996), p. 1072-1091.

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