MACHINE



Chez Philip K. Dick, la Machine avec un grand « M » n’est pas qu’un simple outil, machin industriel qu’on allume, éteint, branche ou débranche en toute maîtrise tels le rasoir électrique, le téléphone portable, la lumière du salon ou les robots des usines automobiles. Elle a toujours un je ne sais quoi de magique et d’insaisissable. Plus souvent diabolique que merveilleuse, plutôt technologie devenue folle que technique à portée de main, elle est d’abord cet objet métaphysique que, par essence, on ne peut justement éteindre, et dont on arrive jamais à se déconnecter – à la façon dont bien des humains, autistes de l’ère post-moderne, ne peuvent décoller leurs oreilles de leur mobile ou de leur iPod, avec ou sans oreillettes. Cette Machine-là, qu’elle soit née ou non des fumées de l’Intelligence artificielle, traduit la métaphore d’une spirale inexorable, d’une mécanique irréversible, fatale et destructrice, de même nature que les apocalypses écologiques du Dieu venu du centaure ou de Dr Bloodmoney. Elle est ici le symbole d’une logique aveugle, qui suivrait ses propres fins plutôt que les nôtres. Elle est cette « fabrique », en réseau sur la Terre entière, de la nouvelle « Autofab » (1954), conçue au départ par l’Institut cybernétique pour préserver l’humanité dans le contexte d’une guerre nucléaire et de ses séquelles, et qui refuse a posteriori de cesser d’exploiter la planète tant que l’humanité n’a pas retrouvé son niveau technologique d’avant le désastre1. Elle est la créature du progrès qui rejette toute autre logique que celle du progrès. Bref, elle est une sorte de « Swibble », la métaphore d’une marche industrielle, technologique, scientifique mais aussi financière qu’il serait dorénavant impossible de stopper, au mépris de la volonté des hommes – si jamais ces « derniers hommes » pouvaient un jour ou l’autre, d’eux-mêmes ou plus vraisemblablement sous la contrainte d’un contexte, d’événements ne leur laissant plus d’autre choix, se réveiller de leur léthargie technophile.


1 Philip K. Dick, « Autofab » (1954), dans Nouvelles, 1953-1963, Denoël/Présence (1997), p. 237-267.

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