POT (ET POTERIE)



Émily crée des poteries. Elle est la sainte du Dieu venu du Centaure, si angélique que l’évolthérapie stoppe l’évolution de son cerveau plutôt que de l’accélérer. Comme si son art, né de la seule magie de ses mains, se refusait à l’emprise de l’intellect1.

Joe est un raté. Manque de pot, il n’est même pas capable de se suicider. Mais il est « le meilleur guérisseur de poteries de la Terre »2. C’est pourquoi le Glimmung, géant ubiquitaire et éminent Le Guérisseur de cathédrales, va chercher pour son divin sauvetage ce docteur et magicien de l’inutile jusqu’au plus profond de son trou.

Mary Anne est quelque peu autiste. Isolée du monde. Elle s’apprête à expédier par la poste un lot de céramiques quand Jason Taverner la rencontre. Elle ne connaît pas le crooner de Coulez mes larmes, dit le policier, qui d’ailleurs n’existe plus au regard des autres. Jusqu’au moment où ils découvrent, tous deux dans un bar, un juke-box où ils se délectent – surtout lui – de l’un de ses hits. C’est elle qui le fait renaître à la célébrité. Donc à la vie. Il l’exhorte à venir à son show. Elle refuse. C’est peut-être pour ça que ses pots sont si magnifiques3.

Pete Sands ne malaxe pas de poterie. Il est l’un des deux pèlerins post-apocalypse de Deus Irae aux côtés d’un phocomèle sans bras ni jambes. Il aperçoit une silhouette aux yeux rieurs et cheveux blonds filasse. Est-ce le Glimmung ? Il croit reconnaître Jésus. Qui disparaît comme un « vieil hologramme au laser ». Que dalle, quoi. Puis il entend une voix trotter dans sa tête. C’est un minable pot d’argile qui lui parle. Un petit objet en terre cuite, même pas verni. Mais télépathe. Ce Rien s’appelle Oh Ho. Et ce pot insignifiant, ce wub à cuisiner, ce déchet sculpté lui dit : « Ce que tu viens de voir, la silhouette qui tenait le volumineux livre ancien, était l’une des entités de la noosphère, appartenant aux Mers de la connaissance, qui ont parcouru tout le chemin de l’époque sumérienne pour arriver jusqu’ici. Thérapeutes, elles ont contribué au travail curatif des Asclépiades. Comme expressions vivantes, spirituelles ou protoplasmatiques de la sagesse, elles se nommèrent Thot chez les Égyptiens. Puis, quand elles se mirent à bâtir, car elles sont d’excellents artisans, elles devinrent Ptah pour les Égyptiens et Héphaïstos pour les Grecs. En fait, elles n’ont pas de vrai nom, puisqu’elles forment un intellect composite. »4 L’essence de l’humain, le cœur du divin se cachent dans un pot. Un pot qui parle comme un prophète. Ou dans le bijou lamentable, primaire, masse de métal fondu aux formes aléatoires du Maître du haut château5. Dans un monde entièrement faux, gouverné par l’illusoire, l’ego nazi ou, ce qui revient au même, le nihilisme de notre temps et son règne du tout calculable, le salut est dans le Rien. Mais un Rien qu’un artisan peut approcher par hasard. Une broche imprégnée, l’air de rien, de philosophie taoïste. Ou un pot. Mais un pot de rien du tout pour approcher du tout.


2 Philip K. Dick, Le Guérisseur de cathédrales (1969), dans le recueil Aurore sur un jardin de palmes, Presses de la Cité/Omnibus (1994), p. 675.
3 Philip K. Dick, Coulez mes larmes, dit le policier (1974), dans le recueil Aurore sur un jardin de palmes, Presses de la Cité/Omnibus (1994), p. 1289.
4 Philip K. Dick et Roger Zelazny, Deus Irae, Folio SF/Denoël (1976, 1977), p. 56.
5 Philip K. Dick, Le Maître du haut château(1962), dans le recueil Substance rêve, Presses de la Cité/Omnibus (1993).

Nos partenaires et nous-mêmes utilisons différentes technologies, telles que les cookies, pour personnaliser les contenus et les publicités, proposer des fonctionnalités sur les réseaux sociaux et analyser le trafic. Merci de cliquer sur le bouton ci-dessous pour donner votre accord.