SWIBBLE



Ne cherchez pas dans le dictionnaire. Le Swibble n’existe pas. Ou plutôt, si : il existe bel et bien, mais il s’incarne dans nos réalités quotidiennes sous la forme d’une ribambelle d’appareils. Il est selon les moments et les personnes notre téléphone mobile, notre ordinateur portable branché sur internet, notre console de salon, notre automobile rutilante ou je ne sais quelle technologie dont l’objet inavouable est de transformer chacun de nous en agent de la puissance dominante. En soldat inconscient du Leviathan capitaliste. Le Swibble de Dick, figure centrale d’une féroce nouvelle écrite en 1954, « Visite d’entretien », est la métaphore de notre soumission à l’industrialisation et à l’emprise d’un système technique sur nos corps et nos âmes, telle que dénoncée par ceux qu’on appelle parfois les « néo-luddites ». Car le Swibble, dont la présence est très fortement conseillée dans tous les ménages du pays, est la Machine par excellence, réduisant à une simple question de plomberie le problème de l’obéissance à l’idéologie du pouvoir. Comme le dit avec passion un réparateur de Swibble : « Peu importe l’idéologie dominante ; peu importe que ce soit le communisme, la libre entreprise, le socialisme, le fascisme ou l’esclavage. Ce qui est important, c’est que chacun de nous soit en parfait accord avec elle ; d’une loyauté absolue, tous. (…) Grâce au Swibble, on a pu transformer ce problème sociologique fondamental qui est la loyauté en simple problème soluble par la technologie – une simple question d’entretien et de réparation. » L’écrivain pose de la sorte la fable conceptuelle d’une machine tyrannique, introduite de façon insidieuse en nos demeures pour mieux nous faire accepter et aimer notre servitude. Selon le principe de l’outrance pleine de sens, il réactualise ainsi le message indémodable de La Boétie pour notre temps industriel, technologique et télécommunicationnel. Avec facture envoyée à l’heureux propriétaire de ce « métazoaire télépathique artificiellement produit », « car dans notre société il faut payer pour être réduit en esclavage. Ce qui est la plus grande des insultes. »1



1 Philip K. Dick, « Visite d’entretien » (1954), dans Nouvelles, 1953-1963, Denoël/Présence (1997), p. 268-291.

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